Le député UMP, Lénine et le Ramadan

Publié le 9 juillet 2013. 

Lionnel Luca, député UMP des Alpes-Maritimes et membre fondateur de la "Droite populaire" (qui déplorait "la politique trop molle de l'UMP"), est un spécialiste des déclarations anti-étrangers et anti-musulmans. On ne sera dès lors guère surpris d'apprendre que, comme plusieurs de ses collègues UMP, il est particulièrement préoccupé par le Ramadan. Il l'a fait savoir avant-hier sur son compte Twitter, avec son sens de la nuance habituel, en appelant Lénine à la rescousse. Oui oui. 

Le député s'est en effet fendu d'un tweet qui mérite d'être reproduit tel quel, afin que chacun-e puisse se pénétrer de la pensée Lionnellukesque : 

Explication de texte : Lionnel Luca tente de surfer sur le "buzz" déclenché par un autre élu UMP, Laurent Burgoa, conseiller municipal à Nîmes, qui publiait le 4 juillet sur sa page Facebook le subtil message qui suit (supprimé depuis la capture d'écran) : 

(On notera au passage la faute d'orthographe commise par Burgoa ("Ramadam"), qui en dit long sur sa connaissance approfondie des moeurs musulmanes.)

La polémique suscitée par ces propos n'a pas manqué de parvenir aux oreilles de Lionnel Luca, qui a donc cru bon d'en rajouter une couche, dans son style inimitable, en convoquant Vladimir Ilitch Oulianov à l'appui de ses élucubrations.

Luca, laisse Lénine tranquille !

Lionnel Luca n'est pas le premier dirigeant de l'UMP qui tente de briller en citant une figure révolutionnaire. Le 18 juin dernier, Brice Hortefeux, qui débattait face à Olivier Besancenot sur le plateau du Grand Journal de Canal +, essayait ainsi de citer Trotsky pour prendre à revers le dirigeant du NPA, affirmant que « [Trostky] disait "socialisme ou barbarie" » et qu'il (Hortefeux) n'était pas d'accord avec cette fausse alternative.

Il serait bon que les dirigeants de l'UMP arrêtent de citer des penseurs qui n'appartiennent pas, mais alors pas du tout, à leur patrimoine politique. C'est indécent et, qui plus est, cela leur évitera de commettre des erreurs. La célèbre formule "socialisme ou barbarie" n'est en effet pas de Trotsky mais de Rosa Luxembourg. En cherchant bien, on trouve chez Trotsky l'alternative "socialisme ou esclavage" (dans le Manifeste d'alarme de la IVème Internationale rédigé en mai 1940), mais il est peu probable qu'Hortefeux ait connaissance de l'existence de ce texte. 

Quant à la boutade de Lénine sur les capitalistes et la corde pour les pendre, elle est tout simplement, selon tous les spécialistes, apocryphe. On ne trouve en effet nulle trace de cette formule dans les pourtant titanesques oeuvres complètes de Lénine (47 volumes, dont 2 volumes d'index), et la seule source de ce "bon mot" serait une conversation entre Lénine et Zinoviev à la sortie d'une réunion au début des années 20, dont nul n'a jamais pu établir l'existence. 

"Parlons-en dans vingt ans quand vous serez voilée"

Mais passons, et revenons au Ramadan. Ce qu'exprime Lionnel Luca dans son tweet, c'est tout simplement l'idée selon laquelle les grandes surfaces qui font des "opérations Ramadan" ou des "promotions Ramadan" sont en train de vendre la corde pour les pendre ou, pour utiliser une autre métaphore, de creuser leur tombe. Voilà une idée qui mérite qu'on s'y arrête. Elle en dit long sur la richesse et la complexité de la philosophie de Lionnel Luca.

Elle rappelle en effet des déclarations du même philosophe, en août dernier, dans une interview à Libération, au cours de laquelle il dénonçait "l'islamisation" de l'Europe. À la journaliste qui lui faisait remarquer qu'il avait une vision catastrophiste, Luca répondait alors : "Le mot « islamisation » vous semble fort ? Je suis tenté de vous dire : parlons-en dans vingt ans quand vous serez voilée !".

Pour lutter contre cette menace, Lionnel Luca fait d'ailleurs partie des élus UMP de la Droite Populaire qui ont organisé, en mai 2011, un "apéritif saucisson-vin rouge afin de fêter dignement la fête nationale", inspiré de toute évidence des "apéros saucisson pinard" du Bloc Identitaire et de Riposte Laïque. Un autre moyen de lutter contre "l'islamisation" de la Gaule.

Les faits d'armes de Lionnel Luca sont trop nombreux pour être rapportés ici dans leur intégralité. On pourra toutefois se rappeler qu'il a qualifié, en 2010, le film Indigènes de "film anti-français" [1], qu'il a estimé, toujours en 2010, qu'on avait "le droit de penser" que les Rroms étaient une "sale race" (mais qu'il ne fallait pas le dire) [2], ou encore qu'il a déclaré, en décembre 2005, lors des débats sur l'instauration de la journée de souvenir de l'esclavage, que "sans la colonisation, ni Léon Bertrand ni Azouz Begag ne seraient ministres de la République française" et que "ceux qui aux Antilles font toute sorte d'amalgames avec l'esclavage ne crachent pas sur le RMI des anciens colonisateurs" [3]. 

Tout simplement. 

Hurler avec la meute islamophobe

Le tweet d'hier n'est donc pas un accident, et s'inscrit dans la lignée des nombreuses déclarations de celui qui n'hésite pas à accorder des entretiens à l'hebdomadaire Minute ou à déclarer, l'air de rien, "[qu']un islamisme intégriste conquérant veut nous imposer sa façon de vivre". Bref, Lionnel Luca est le chaînon manquant entre la droite extrême et l'extrême-droite, aux côtés de ses collègues de la Droite Populaire et de la Droite Forte (à l'instar de Christian Estrosi), dont les déclarations et propositions sont un quasi-copié-collé de celles du FN. 

En sous-entendant que les opérations et promotions Ramadan sont un suicide de la grande distribution, Lionnel Luca reprend à son compte la rhétorique islamophobe la plus crasse, celle qui assimile les Musulmans à une menace mortelle, le tout en se drapant, bien sûr, dans les oripeaux d'une pseudo-laïcité qui ne concerne que les Musulmans. On a en effet peu entendu Lionnel Luca à ce moment-là : 

Ou, histoire de ne pas faire de jaloux, à ce moment-là :

Lorsque les haineux hurlent et que les autres se taisent, on sait malheureusement comment cela se termine, à l'instar de ce qui se déroule durant les projections de films de propagande appelant à la haine contre les "traîtres" dans le monumental 1984 de George Orwell : 

L'horrible, dans ces Deux Minutes de la Haine, était, non qu'on fût obligé d'y jouer un rôle, mais que l'on ne pouvait, au contraire, éviter de s'y joindre. Au bout de trente secondes, toute feinte, toute dérobade devenait inutile. Une hideuse extase, faite de frayeur et de rancune, un désir de tuer, de torturer, d'écraser des visages sous un marteau, semblait se répandre dans l'assistance comme un courant électrique et transformer chacun, même contre sa volonté, en un fou vociférant et grimaçant [4].

La banalisation de l'islamophobie se mesure chaque jour un peu plus, qu'il s'agisse du manque de réaction face aux agressions physiques et verbales qui se multiplient ou du phénomène de "libération de la parole" qui ne touche pas que les élus UMP, loin de là. Hier et aujourd'hui, aucun organe de presse ne commente ni ne mentionne les propos de Lionnel Luca tenus sur Twitter avant-hier [5]. Comme si tout cela était devenu normal, acceptable. Le pire n'est jamais certain, mais sans réaction, il peut advenir. 

Notes

[1] Bastien Hugues, "Polémique autour du prochain film de Rachid Bouchareb", Le Figaro, 29 avril 2010.

[2] Voir par exemple « "Les Roms, une sale race" : le député Luca se prend les pieds dans la polémique », site de Var Matin, 13 septembre 2010.

[3] Vanessa Schneider, "Colonies : un député UMP tacle les ministres trop bronzés", Libération, 13 décembre 2005.

[4] George Orwell, 1984, édition Folio, p. 28.

[5] À l'exception d'une allusion, très factuelle, sur le site Newsring.